samedi 17 mai 2008

Vaticinations autour du pastel.

La première question qui conditionne déja les autres: pourquoi choisit-on le pastel? Travailler vite? Au sec? Recherche de la spontanéité? Goût pour la couleur pure? Amour du "poudré"? Autre?
Il en est, à mon sens, du pastel comme du tir à l'arc: c'est la position juste qui assure le voyage juste de la flèche.

Viser n'a pas de sens.

Un ensemble archer/arc/flèche/cible relaché vigilant:
la flèche ne fait le voyage qu'une fois.

Le pastel: une poudre sur un support. Pas de liant, pas de diluant, les pigments simplement posés. Ils restent mobiles, induisant éventuellement deux effets contrariants:
-les pigments peuvent être tenté de migrer vers un autre support qui se présente ou de bouger sur leur propre support
-ils vont se mélanger à un second apport, réagissant parfois entre eux (physiquement ou chimiquement) d'une manière non désirée.

Voir disparaitre ou s'atténuer un accent que l'on trouvait bienvenu est aussi frustrant que de voir grisailler les tons si purs qu'on se propose. La question se pose de trouver un moyen de fixer ces pigments volatiles.
Toute matière rapportée se traduit par une altération des qualités premières. Cela peut constituer la base de stratégies. (je me trompe en me relisant, et je lis "tragédie" en place de "stratégie"!)

Sans doute avez vous remarqué que tous les pastels ne se valent pas entre eux, fonction de leur fabrication: Les craies Conté, un peu dures demandent une pression plus importante que d'autres , s'engageant davantage dans le support. Les tons des Rembrant sont peut-être un peu plus rentrés que d'autres, et leur texture est aussi assez ferme. Les Senneliers sont si fins qu'il paraissent un peu gras. Les Smincke sont à mon goût parfaitement équilibrés. Les La tour sont une merveille de fraicheur et de vivacité. Rien n'empèche de commencer avec les uns, et de finir avec les autres. Commencer les bases au Conté sur le plat, poursuivre au Rembrandt en hachures, rehausser au La Tour. Pour ma part je pratiquais ainsi.
Chacun d'eux réagit différement au fixatif.
Les tons plus rentrés des Rembrandt s'accomodaient assez facilement de l'alourdissement d'une fixation intermédiaire (un léger lait de Caparol). Cette base acceuillait souplement les apports de pigment frais, et jouant le rôle des basses continues, favorisait l'émergeance des mélodies.
En place de Caparol, il eut peut-être été judicieux de projeter un voile de gomme arabique, interface entre les deux couches, réactivable par humidification même légère. Au Caparol, c'est du solide!

Il se peut aussi que le travail se fasse par juxtaposition de tons sur une seule couche. Le plus gros du problème devient alors d'éviter le grisaillement par mélange, aussi pernicieux sinon plus que l'affadissement dû à la fixation.
Les solutions pourraient être trouvées dans la préparation des fonds. (pour reprendre l'analogie avec l'archer, il peut aussi se faire que l'on mette la cible à l'endroit où la flèche. ) Si les pastels offrent des propriétés différentes, il en est de même pour les supports.
J'oublie volontairement les caractéristiques chimiques pour cause d'incompétence, encore que j'en fasse, comme chacun les frais. (A l'huile la constitution d'une palette courte et éprouvée est une bonne parade. Au pastel, la nécéssité d'une palette aussi large que possible me rend la notion floue.)

Le rendu d'un pastel sur velours n'aura rien à voir avec celui d'un pastel sur Ingres: Les poils du velours vont retenir l'entier du pigment et saturer assez rapidement. Le papier Ingres et sa structure cannelée ne se remplira que sur sollicitation énergique.
Un Papier lourd va "boire" le pigment, un bristol , ultra nerveux, n'en conservera qu'une trace:
J'ai une fois moulé du plâtre sur une vitre. Sec, le plâtre était aussi brillant qu'un miroir. Sur la surface sèche, seules les impulsions les plus vigoureuses laissaient une trace. Sitôt humide, le plâtre retenait tout. Ainsi se créait dans un même mouvement un double language, suivant les surfaces humidifiées ou non.
Cette expérience me fait penser à ce que l'on m'a dit de la façon dont, en dorure, l'or se fixait sur l'assiette. Quand l'argile encollée de l'assiette, m'expliquait-on, reçoit de l'eau, elle l'aspire à la seconde, aspirant en même temps la feuille posée dessus. Aprés quoi la colle stabilise. Je me demande si une enduction d'assiette encollée légerement aurait le même effet sur le pigment lors d'une humidification. L'encollage est dans l'assiette, sous le pigment, et l'eau est le plus neutre imaginable. Qu'en serait-il de la pulvérulence? je ne sais, mais on peut toujours essayer. Plus simplement, qu'en serait il d'un papier sur lequel on projetterait un film de gomme arabique dont on réactiverait l'adhérence par un passage à la vapeur? J'ai lu quelque part que le spectacle de Degas "encensant" ses pastels avec une bouilloire avait marqué les esprits. Autre piste par analogie que je n'ai pas encore expérimenté: En dorure toujours, il est possible de poser de la feuille à l'aide de mictions. Certaines sont "a l'huile" et arrivent à maturité en 12 ou 3 heure ("amoureuse" dit-on car elle s'attache et se détache du doigt sans laisser de trace avec un bruit sec,... qui n'appelle pas de commentaire.), d'autres sont à l'eau: des mictions à dorer acryliques bien plus souples d'emploi que leurs cousines, dont le plus grand défaut pourrait être, pour nous, une qualité. Deux inconvénients en effet à ces produits: ils ne permettent pas le brunissage (mais de cela, on se moque), la feuille est délitable en atmosphère humide( ce qui signifie une sensibilité et une reversibilité des propriétés.). Par contre, "amoureuse" en deux/trois heures, elle conserve ses qualités plusieurs jours, avant de sécher complètement . Diluable à l'eau, serait-elle capable de retenir sans le tacher le pigment déposé? Ne conserverait-elle pas "trop" le pigment devenu indéplaçable? Pour moi, une couche stable est déja pain bénit, puisqu'aussi bien, il n'y a pas de repentir possible. Dés que cela s'y prète, je tente l'expérience.
Il existe, ais-je lu, une version gomme laque. Un jour que je travaillais sur la terrasse avec des bases gomme-laques diluées dans de l'alcool à 95, je me suis soudain "senti pas bien". J'ai voulu faire quelques pas pour dissiper le malaise: la route n'était pas assez large pour moi. J'étais saôul comme une grive. Vaporiser de l'alcool directement assimilable, trés peu pour moi.(outre les risques d'incendie en atmosphère confimée)

La conservation définitive implique la mise sous vitre. Ne pas toucher à la vitre (contact fatal) implique de son coté une séparation entre les deux surfaces. Une simple ficelle collée en rive peut tenir lieu de passe-partout, mais il est impératif que le papier reste plan. Soit il est collé, et cela nous amène à des encollage préparatoires, soit il est posé et requiert une athmosphère insensible à l'humidité de l'air, donc pris entre deux surfaces aussi étanches que possible réunies entre elles par quelque ruban adhésif. (Stockage relativement lourd). La cellophane intermédiaire est à proscrire qui attire à elle le pigment. Le papier de soie à la rigueur. Le mieux serait peut-être de se servir des propriétés physiques d'un papier un peu glacé, genre papier sulfurisé, qui "refuse" à l'instar de mon platre hyper-nerveux de tout à l'heure, si tant est que le traitement de ce papier n'altère pas les tons, ce dont j'ignore tout.

La nature du support n'est pas plus innocente que la pose du pastel. Il s'agit d'un ensemble dont la variation de chacun des constituants entraine la variation des autres.

J'ai sans doute oublié bien des choses, mais je compte sur vous pour y revenir.
Comme vous l'avez compris, je part dans les essais.

Le récit de vos bonheurs et éventuelles déconvenues nous enrichirait tous.
Le chapitre est ouvert, il n'est pas refermé de sitôt.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour ces précieux conseils! Voilà un texte sur lequel je risque de revenir souvent chercher des réponses tant il fourmille d'astuces et d'expérience. Les métaphores dont vous usez avec bonheur ne rendent que plus passionnant votre savoir faire. Il ne nous reste plus qu'à Faire...à essayer de faire!

Anonyme a dit…

Et bien un véritable exposé. Très intéressant pour moi qui ne suis qu'un amateur. Je me rend compte que j'ai encore beaucoup de chemin à faire avant d'arriver à maitriser les pastels, ou autres techniques et recettes !
Si vous me le permettez je vais mettre votre article dans ma pages des Techniques !
Bonsoir.

jean Ducros a dit…

@Cat:
Aie aie aie, si ce texte évoque le moindre conseil, c'est qu'il à un ton péremptoire qui m'a échappé. Je me suis peut-être laissé emporter par le sujet.
J'essayais simplement de faire le point sur la façon dont chacun envisageait les choses afin d'ouvrir des champs.
La technique me semble secondaire au besoin ressenti. Ce pourquoi elle doit être inventée.
Vous dont la culture/curiosité picturale impressionne, savez bien que les recours de tel ou tel se sont batis sur le refus des précédents. D'ou mon adhésion complète à l'emploi de cette majuscule dont vous avez pourvu le mot "Faire".
Nota sur commentaire de votre blog: oui c'était bien le musée d'Albi. J'y ai été guide l'espace d'un été, et déja, mon enthousiasme bavard pour le sujet avait amené des visiteurs à partir, s'excusant de n'avoir pas prévu qu'une visite puisse être aussi longue!
Incorrigible!

jean Ducros a dit…

@Jean-Yves:
L'idée étant d'ouvrir à la gestation de moyens propres à la réalisation de la démarche de chacun, j'ai simplement posé là les balises qui m'ont servi. Mais si c'est à titre d'exemple, il n'y a rien là d'exemplaire.
Surtout surtout, allez Votre chemin sans souci pour rien d'autre.Il est trés bien comme il est(le chemin.). Tout se met et se mettra en place "par nature".
Il m'a semblé voir dans votre dessin "le fleuve vu du ciel" la cristallisation des questions qui vous "grattent", bien au delà de la simpe conservation de la trace d'un moment de grâce.(et le ressenti exprimé de votre bon travail sur Cézanne semble aller dans ce sens.)
Si vous le voulez nous pouvons échanger sur celà.

Anonyme a dit…

Amusante coïncidence pour le musée Lautrec, qu'il faudrait que je prenne le temps de revisiter (il vient d'être entièrement rénové) puisque je travaille à 50 mètres de cet endroit merveilleux qui attire des humains venus des quatre coins de la planète...